« Entrevues » est le rendez-vous des acteurs qui combinent marques et musique. Pour l’interview de ce mois de mai, nous sommes allés interroger Daniel Findikian, co-fondateur de l’EMIC, école de management des métiers de la musique et du jeu vidéo. Ayant travaillé chez Polydor puis chez Sony Music et EMI Music, il nous donne sa vision du nouveau marché de la musique et de ses enjeux.
# L’EDS : Bonjour Daniel, merci d’avoir accepté cette interview pour LEDS.
Tout d’abord qu’est-ce qui vous a motivé à fonder l’EMIC ? Pourquoi semble-t-il nécessaire de former aux nouveaux métiers du numérique dans l’industrie de la musique ?
Daniel : Le secteur de la musique (que je connais bien puisque j’y travaille depuis plus de 20 ans) est un secteur très particulier avec ses codes, ses réseaux et qui nécessite pour les gens qui y travaillent d’avoir l’expertise, le savoir faire, la passion pour la musique et les artistes mais aussi la personnalité qui correspond à ce secteur.
Je trouvais qu’il n’y avait pas de formations de niveau bac+5 spécifiques à ce secteur donc avec ce triptyque nécessaire : Expertise secteur / Passion / Personnalité. Et surtout de formation professionnalisante où les étudiants pourraient être directement opérationnels.
J’ai monté cette formation en créant la pédagogie, en recrutant les professeurs qui sont tous des professionnels réputés du secteur et en montant les partenariats avec les entreprises de la filière.
« J’ai fait la formation que j’aurai aimée faire quand j’avais 21 ans »
, époque où je dépensais tout mon argent en vinyles et en concert et lorsque je rêvais de travailler dans la musique. J’ai fait une école de commerce et après de nombreuses péripéties, j’ai finalement trouvé un job dans la musique en 1995.
Et puis, au début des années 2000, la musique a été le premier secteur à connaître le « tsunami numérique ». Cela a été la première industrie culturelle à être touchée par cette « révolution » numérique et aussi la première à se remettre sur pied.
Les chiffres qui viennent de paraître du marché de la musique en 2016 tant en France que partout dans le Monde montrent des croissances fortes partout et c’est super encourageant.
L’industrie musicale est en train de réussir sa transformation numérique. Mais il faut désormais des compétences et des savoirs faire très différents de ceux des années 2000. Et c’est pour répondre à ces besoins de nouveaux profils que nous avons créé le MBA d’EMIC avec une équipe pédagogique constituée uniquement de professionnels et un apprentissage par la pratique pour former des jeunes directement opérationnels et qui correspondent aux besoins de professionnels du secteur aujourd’hui.
# L’EDS : A en lire votre bio, vous vous êtes intéressé tout au long de votre carrière au business model des différents acteurs de l’industrie de la musique. Le Business Model est d’ailleurs un sujet que vous traitez beaucoup dans vos cours. On se questionne toutefois sans arrêt sur la réelle possibilité de plusieurs acteurs tels que Deezer ou Spotify à devenir rentable. Pensez vous qu’il soit plus difficile pour l’industrie musicale de proposer un business model profitable aujourd’hui ?
Le secteur de la musique a connu un choc sans précédent pendant 10 ans et il se relève désormais. Depuis un an, on peut dire que ça redémarre avec un modèle du streaming qui s’impose. Tous les marchés sont en forte croissance.
« Le passage du modèle de la possession au modèle de l’accès a été un bouleversement dans les organisations, les techniques marketing, dans les modèles économiques etc… »
Et cette transition était douloureuse. Quand l’ancien modèle est mort et que le nouveau n’est pas encore installé, c’est toujours une souffrance. Le streaming est une disruption technologique. Nous ne pouvons plus revenir à ce que nous avons connu dans le passé. C’est long et compliqué à appréhender quand on ne sait pas si le nouveau modèle va marcher.
Expliquer le passage à l’âge de l’accès revient à expliquer la différence entre la vente et la location. Quand je vends un produit je touche les revenus d’un coup. A l’inverse, en location les revenus s’étalent dans le temps. La vente d’un album physique s’étale sur un à douze mois dans le meilleur des cas. La vie d’un album en location s’étale ad vitam aeternam.
Nous ne sommes qu’au début de cet âge de l’accès. La France compte très peu d’abonnés au service de streaming (un peu moins de 4 millions) si on compare au nombre d’abonnés internet (22 millions en France).
De nombreux artistes se plaignent de ne pas “gagner” assez avec leurs revenus numériques. Etant moi-même, en parallèle d’EMIC, producteur, propriétaire et éditeur, je suis confronté à cela. Les artistes ou managers que je côtoie, j’essaye de leur apporter des réponses à ces questions.
En général, la solution de facilité est de trouver un bouc émissaire.
« La mode a été de pointer du doigt les services de streaming et leur piètre rémunération pour les ayants droits mais bon, la réalité est un peu plus compliquée que ça. »
Quand on examine le partage de la valeur entre ayants droits et plateformes de streaming, la répartition se fait de la façon suivante. Environ 60 à 63% revient au producteur (qui est également distributeur) puis entre 10 et 13% à l’éditeur. Il reste donc environ 25% pour le service de streaming pour financer les frais fixes (soit le marketing, la promotion, le personnel, les locaux, les frais variables, le stockage, la bande passante).
La marge pour un service de streaming reste donc limitée. En effet, si son modèle économique ne repose que sur la musique et l’abonnement, sa marge est beaucoup plus faible que celle des leaders mondiaux soit Apple, Spotify, Google, Amazon (qui au passane payent pas la TVA en France, ce qui peut leur dégager environ 15% de marge supplémentaire).
# L’EDS : Plusieurs grandes marques commencent à investir de plus en plus dans la musique pour compléter leur offre. Amazon a annoncé récemment vouloir intensifier sa présence en festival, Apple a réussi son pari avec une plateforme de streaming qui rassemble plus de 20 millions d’abonnées payants et la Fnac a récemment annoncé un partenariat d’envergure avec Deezer au point de supprimer sa propre plateforme de streaming. Qu’est-ce qui motive ces géants à s’intéresser au marché de la musique ?
La musique est une des industries de loisirs qui est la plus importante avec le cinéma et pour les sociétés que vous citez c’est une façon de capter des cibles marketing attractives et notamment la cible 15 -24 ans. Pour les GAFA, la musique reste un produit d’appel pour vendre autre chose. Apple s’en sert pour vendre des devices notamment des i-pods dans les années 2000 et des i-phones depuis 2008, Google s’en sert pour vendre de la pub et nos données personnelles, notamment avec YouTube (première destination pour l’écoute de musique). Amazon s’en sert pour l’inclure dans Amazon Premium et vendre tous les autres produits de ses nombreux rayons, que ce soit des enceintes connectées ECHO ou des maillots de bain.
# L’EDS : Vous avez une passion pour la musique et une solide expérience dans les métiers du Marketing. Pensez vous que le numérique a totalement changé la manière dont les artistes doivent promouvoir leur musique aujourd’hui ?
Totalement, il faudrait un bouquin entier pour le détailler.
Les moyens de promotion sont multiples. Le marketing digital, le CRM, la promotion digital (avec notamment les réseaux sociaux) et aussi la diversification dans les modes de diffusion qui peuvent être également des revenus (les clips sur YouTube sont rémunérés par exemple). Les nouvelles sources de financement comme le crowdfunding en font également partie.
Mais un des changements majeurs est l’accessibilité aux données consommateurs que l’artiste peut visualiser grâce à la data. On arrive à cibler les bons consommateurs, les toucher au bon moment, au bon endroit, et en adaptant l’ « expérience musicale » à leurs besoins. Mais il faut savoir digérer, analyser cette énorme quantité de data pour prendre des décisions. Donc cela nécessite toujours des bons décideurs et de bons managers qui savent prendre des risques. Pour un artiste, l’important reste aussi de rencontrer ces personnes là.
« La question n’est pas “Puis je gagner ma vie à l’ère digitale si je ne suis ni JUL ni BEYONCE ?” (et les artistes me la posent souvent) mais “Comment optimiser mes revenus et quel est le meilleur partenaire pour mon projet artistique ?”. »
Chaque jour des millions d’artistes téléchargent leurs titres sur Soundcloud, des centaines de milliers sortent un EP ou un album. La compétition est très dure, beaucoup plus dure qu’avant. Dire le contraire serait mentir.
C’est plus dur et plus complexe de nos jours. Donc un artiste est obligé de s’entourer de professionnels avec un haut niveau de technicité (manager, label…). Le niveau d’expertise nécessaire est monté. Et même si l’artiste souhaite être complètement indépendant, il ne peut pas faire tout tout seul. Il a besoin d’un community manager, un attaché de presse, booker etc…
La difficile question pour un artiste aujourd’hui c’est comment il arrive à s’imposer et à durer dans ce marché complexe de la musique : un marché d’offre et non de demande.
# L’EDS : Comprenez vous les artistes qui décident de se promouvoir en collaborant avec des marques ?
Oui totalement, d’autant plus que j’ai bossé sur ça en effet. Car en plus du digital j’ai aussi dirigé le département « brand partnership » quand j’étais chez EMI MUSIC. Cela a toujours existé. Du début (My Adidas RUN DMC) aux nombreux placements produits actuels dans les clips. Aujourd’hui , avec le brand content, c’est souvent mieux fait je trouve, plus subtil.
Pour que ça soit réussi et dans une relation gagnant gagnant, il faut que ce soit vraiment une adéquation entre les valeurs de la marque et les valeurs de l’artiste. Il y a un travail de fond à faire quand une marque choisit un artiste. Mais avec les datas que les producteurs possèdent désormais, on a la possibilité de faire des études brèves. Il existe des outils d’aide à la décision. Mais attention ce ne sont que des outils. L’analyse, la synthèse puis la décision doit être faite par un Humain !
Pour en savoir plus sur l’EMIC et ses formations, c’est par içi.