« Entrevues » est le rendez-vous des acteurs qui combinent marques et musique et/ou musique à l’image.

Pour cette nouvelle interview, nous sommes allés à la rencontre de Élise Luguern, pionnière de la musique à l’image dans le cinéma.

C’est elle qui se cache derrière les bandes sons de « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? », « La vie d’Adèle », « La jalousie », « Les vacances de Ducobu » ou encore « Les infidèles », pour ne citer que quelques-uns des nombreux longs-métrages sur lesquels elle a bossé.

# L’EDS – Hello Élise ! Merci de nous recevoir et de répondre à nos questions. On est super contents de t’avoir aujourd’hui !

Pour ceux et celles qui ne te connaîtraient pas, peux-tu te présenter en quelques mots sur ton parcours, ton expérience ?

Élise – Hello !

Alors, dans les grandes lignes, j’ai commencé comme violoniste. Ensuite, j’ai vécu aux États-Unis, où j’ai monté des festivals de courts-métrages français. Puis je suis entrée chez EMI Classic, en tant qu’attachée de presse avant d’arriver chez Luc Besson, au département musique (où je suis restée 5 ans). 

Pour finir, j’ai monté ma structure de supervision musicale, accompagnée de Lucile Egal, avec qui je travaille depuis un bon nombre d’années maintenant. On s’occupe de toute la musique d’un film, d’un point de vue artistique et de production.

# L’EDS – Du coup, le métier de Music Superviser dans le cinéma, la télé, etc. c’est de gérer de A à Z la musique, et ça de tous les points de vue ?

Élise – Exactement ! 

En France, c’est différent des États-Unis, où tout est plus compartimenté : il y a celui qui va chercher les synchros, celui qui va clearer les synchros, celui qui va faire la production exécutive …. 

Ici, un superviseur musical doit gérer tous ces aspects. On est au carrefour de l’économie, de l’artistique et du juridique.

# L’EDS – Et du coup quels en sont les enjeux ?

Élise – Ma manière d’aborder ce métier est très liée à l’impératif que je me fixe de ne pas dépasser le budget, financièrement parlant. Car autant on n’a pas d’obligation d’économie, puisqu’on est dans le coût du film, autant on ne peut pas dépasser le budget. 

Juridiquement aussi, c’est de faire en sorte que la chaîne des droits soit très claire et bordée de toute part. 

Cela implique de faire attention à ce que tous les ayant-droits aient été consultés préalablement. Pour être clean juridiquement.

Enfin artistiquement, et le cœur du métier est vraiment là. En tout cas, il est la raison pour laquelle je fais ce métier. L’enjeu est de comprendre ce que le réalisateur veut et de le mettre en forme.

# L’EDS – N’est-ce pas la partie la plus « dure » du métier ?

Élise – Je ne sais pas si c’est le plus dur… Car c’est aussi ce qui est le plus excitant ! C’est ce que je fais avec le plus de plaisir. Il faut écouter un réalisateur. Lui parler… Mais pas que de son film. De plein de choses. De sa vie, de ce qu’il aime, de ce qu’il n’aime pas… On est un peu obligé de se mettre dans sa tête et de comprendre ce qu’il veut afin de ne pas trahir son propos artistique.

# L’EDS – Et si, par exemple, un réalisateur n’a pas de sensibilité musicale, comment tu arrives à gérer cette relation ?

Élise – Alors je me fais forcément une idée de la place de la musique à la lecture d’un scénario. Mais cela va être ma vision. Peut-être sera-t-elle différente de la sienne du coup. Mais l’idée, c’est de faire des propositions. De lui dire « Voilà, moi j’entendrais ça. Toi, qu’est-ce que tu en penses ? ».

Soit ça marche, soit ça ne marche pas. Mais au moins, ça va leur permettre de rebondir et de déterminer, non pas forcément ce qu’ils veulent, mais pourquoi ils n’aiment pas ce que tu viens de leur présenter. Et toi de ton côté, par élimination, tu affines tes recherches.

Parfois, en un RDV, tu as tout de suite cerné les attentes ; pour d’autres, il faut 4 à 5 réunions.

Mais en règle générale, à chaque première recherche que j’envoie, je me sens comme une bachelière qui va chercher ses résultats. Je suis complètement flippée car je me dis que je suis peut-être à côté de la plaque. Et, plus de 250 films après, ce sentiment ne m’a pas vraiment quittée.

Mais heureusement quelque part ! Sinon j’arrêterais de faire ce métier (rires). Ça voudrait dire que je suis blasée.

# L’EDS – Comment choisit-on entre musique originale et musique préexistante ?

Élise – Si on enlève l’aspect économique (puisque la musique préexistante coûte beaucoup plus cher que la musique originale), il y a des évidences au cinéma. Par exemple, pour les séquences clippées, on va généralement mettre un titre préexistant. Il y a des codes.

Il y a aussi les musiques que l’on dit diégétiques. Par exemple, une scène de fête, une scène de bar où potentiellement on se dit qu’il faudra une synchro.

Et pour les belles synchros, les belles chansons, il faut qu’il y ait de l’espace à l’image. S’il y a beaucoup de dialogues, tu ne peux pas mettre une synchro. Ne serait-ce qu’au niveau des fréquences, cela risque de se court-circuiter.

C’est véritablement au montage, et en fonction de la façon dont le réalisateur va monter son film, qu’on va pouvoir déterminer dans quelle(s) scène(s) il y a suffisamment d’espace pour mettre de la synchro.

# L’EDS – Du coup, c’est mieux de choisir pendant le montage quelles séquences a besoin de musique ?

Élise – Oui, on fait rarement un découpage musical sur scénario. Sur scénario, on fait plutôt des relevés musiques. Autrement dit, à la lecture, on voit qu’il y a une scène dans un bar ou en boîte de nuit et là, on sait qu’il va y avoir de la musique à insérer. Ces séquences-là sont faciles à identifier et à déterminer en amont. Ce travail préalable, avant le tournage, consiste aussi à faire attention à ce que l’équipe ne tourne pas avec un Mickael Jackson sur le plateau que je ne pourrais pas retirer en post-prod.

De manière générale, créer de la musique sans les images… c’est compliqué ! Et quand je l’ai fait – sur demande de la prod ou du réal – ce qu’on avait imaginé au début n’est jamais allé au bout.

Un réalisateur pendant le tournage va constituer de la matière. Mais le moment clé de la supervision musicale, c’est évidemment le montage. C’est là que la vraie histoire s’écrit, que le rythme se donne. Si tu as imaginé un thème musical plutôt lent et que le réalisateur monte finalement super « cut », cela ne va pas marcher. Cela va au contraire tout ramollir parce que le tempo de la musique ne suivra pas le tempo de l’image…

# L’EDS – Et pour le score, comment ça se passe de manière concrète ? J’imagine qu’on n’appréhende pas la musique originale de la même manière que le reste ?

Élise – Certains réalisateurs aiment bien travailler avec leurs compositeurs.

Mais certains n’ont pas d’idée(s) précise(s). Mon rôle c’est alors de proposer tel ou tel compositeur, c’est d’être prescripteur. Une question toute bête, par exemple, consiste à leur demander ce qu’ils ont aimé comme BO ces derniers temps. Des choses qui ne seront pas forcément adaptées à leur film. Mais c’est une manière de voir à quoi ils sont sensibles.

Et puis il y a des réalisateurs vont me transmettre leur scénario et me demander ce que j’en pense. J’en discute alors avec eux et je leur dis ce que j’imagine, qui on devrait solliciter sur le projet.

Je bosse avec beaucoup de réalisateurs avec qui une vraie complicité s’est créée. On connaît nos méthodes de travail et on se fait confiance.

# L’EDS – Est-ce ton rôle de briefer le compositeur ?

Élise – Oui et non ! Je dirais que je suis la porte-parole musicale du réalisateur. Il va me parler dans son langage et pas forcément avec une terminologie musicale. Mon travail va consister à traduire ses intentions et directives auprès du compositeur.

Dans le processus de composition, je vais être là au moment des briefs. Je comprends ainsi ce que le réalisateur veut. Et quand le compositeur livre, je vérifie qu’il a lui-même bien compris ce que le réal attendait.

C’est vraiment ce pour quoi je fais ce métier. Avoir les mains dans le cambouis sur la partie artistique. 

C’est vraiment ce pour quoi je fais ce métier. Avoir les mains dans le cambouis sur la partie artistique. 

# L’EDS – Du coup, tu préfères la partie score ou synchro ?

Élise – Score, clairement. Car tu crées quelque chose. Tu travailles vraiment de la matière musicale.

Pour la synchro, ce qui est très agréable c’est quand il y a un titre qui marche vraiment bien à l’image. Mais tu as moins d’input dedans… Ce n’est pas pareil.

# L’EDS – Selon toi, c’est quoi une BO de film réussie ?

Élise – Une BO de film réussie, c’est une BO dont tu ne remarques pas la musique tant elle épouse bien le film et ne nuit pas à la narration de ce dernier… Mais dont tu sors en chantant le thème ! Ça c’est classe ! (Rires).

# L’EDS – Parmi tous les projets sur lesquels tu as bossé, quels sont ceux dont tu en es la plus fière ?

Élise – Je ne peux pas répondre à cette question. (Rires)

Je vais vexer les autres si je n’en choisis qu’un. (Rires)

Non mais, blague à part, je ne peux vraiment pas choisir. 

Tu mets tellement d’énergie quand tu travailles sur un film… Clairement, tu ne peux pas choisir parce que tu les aimes tous, sincèrement.

# L’EDS – Toi qui est l’une des pionnières de la supervision musicale en France, pourquoi avoir décidé de rejoindre Josette Music Club

Élise – Et bien nous, on fait du cinéma. Eux, ils font de la pub. Et on travaille de la même manière. On fait du sur-mesure, aussi bien nous avec nos réalisateurs de films, qu’eux avec les marques. 

Et cela faisait bien trop longtemps qu’on aimait le travail l’un de l’autre pour ne pas se dire à un moment « Allez, on saute le pas ! On fait quelque chose ensemble ».

Nous ne sommes pas en train de fusionner un même marché pour devenir plus gros.

Nous travaillons main dans la main pour faire la même chose, de la même manière, mais dans des univers un peu différents et pour s’enrichir mutuellement.

# L’EDS – L’idée c’est de valoriser la musique à l’image dans tous ses aspects ?

Élise – Ah oui, c’est sûr. On a vraiment cette exigence d’artisan. Et j’ai besoin de travailler comme ça.

# L’EDS – Si ta vie était un film, quelle en serait la bande son ? En 6 titres max.

Élise – Star Wars direct. J’aime énormément ! C’est un vrai opéra. 

Et d’avoir laissé de la place pour cette force musicale là, c’est énorme. C’est rare…

La saga n’aurait pas la puissance qu’elle a sans sa musique. C’est un monument. 

Donc oui, la BO de ma vie serait Star Wars 1. Star Wars 2. Ou 3. (Rires)

# L’EDS – Merci Élise ! C’était un vrai plaisir de t’interviewer. 

On te dit à très vite pour une autre interview.

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