Ancien directeur marketing d’Apple France, Olivier Covo est un passionné de musique et de marques naviguant tantôt d’un bord à l’autre avec une grande dextérité. Directeur associé de Brandy Sound, professeur de marketing sonore à Celsa et Emic Paris, il nous fait partager son expérience transversale de client à créateur.
Bonjour Olivier, merci de répondre à nos questions. Pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas, en quoi consiste ton métier ?
Nous créons de la différence par le sonore. L’identité sonore est un actif émotionnel au profit de la marque. C’est un vecteur de préférence. Une arme de séduction massive.
L’identité sonore de marque et le design musical sont des disciplines qui consistent à singulariser l’expression de la marque par le medium sonore. C’est un vecteur puissant qui stimule l’imaginaire par le registre émotionnel. Notre travail consiste à créer un univers, un langage et une grammaire sonores propres à la marque afin qu’elle puisse exprimer sa singularité et sa différence aux oreilles du public. Elle laisse ainsi une empreinte sonore qui lui est spécifique et qui la différencie de ses concurrents. Cette empreinte fait entendre son image en créant des associations mais aussi elle génère de la mémorisation et de la présence à l’esprit.
Notre travail permet de développer un empire des signes sonores qui soit cohérent quel que soit le canal de diffusion que la marque va utiliser pour toucher ses clients. Il s’agit de créer une expérience positive afin de créer de la préférence de marque.
En clair, un univers musical et sonore est un amplificateur émotionnel de la personnalité de marque. Son rôle est de faire résonner toutes les valeurs de la marque à travers un système d’identification absolument unique. Il est décliné en formats, orchestrations, sons qui vont être adaptés à tous les points de contact. Une bonne identité sonore s’inscrit dans un programme complet laisse une empreinte forte et cohérente qu’elle qu’en soit sa forme.
Comme son nom ou son système de représentation visuelle, la marque dispose d’une part de voix. En clair, un logo sonore est le pendant d’un logo visuel. Ce puzzle identitaire composé du nom de la marque, de son logo visuel et de son logo sonore doivent former un ensemble cohérent. La cohérence est un vecteur puissant d’adhésion de ceux qui écoutent dans ce contexte.
De la même façon, nous dessinons des paysages sonores pour les marques. La discipline du design musical consiste à scénariser un espace en créant une ambiance et/ou un parcours sonore. Celui-ci se traduit par des playlists dont la ligne artistique doit être cohérente avec la marque et ses publics cibles. Mais aussi par des approches spécifiques que j’appellerais le merchandising sonore.
Nous faisons d’une certaine manière le même travail que des agences de design comme Carré Noir, Dragon Rouge ou Lonsdale… mais au niveau sonore.
« Le capital sonore de la marque n’est pas toujours cohérent car les multiples intervenants vont proposer des réponses qui sont souvent circonscrites à leur expertise sans qu’elles soient mises en perspective. »
Quel est l’état du marché en 2017 en France ?
Le marché est fragmenté. Si l’on se situe du point de vue des marques, on peut aisément imaginer que la discipline musique/sonore devrait faire l’objet d’une approche synchronisée pour que l’ensemble des signes sonores émis par celle-ci soit harmonieux. Malheureusement ce n’est pas souvent le cas.
Mon point de vue est que la marque transmet des musiques et des sons qui devraient faire partie d’une image sonore globale et qui peut être diversifiée tout en étant cohérente :
– Les signes sonores identitaires qui sont pérennes,
– La musique publicitaire et la communication qui sont conjoncturels,
– Les associations au monde de la musique (si celle-ci est légitime),
– Les sons des produits s’ils existent.
Il y a aujourd’hui très peu de personnes au niveau de la marque qui soit le gardien de cette cohérence.
Le marché est fragmenté :
– Agences de design musical;
– Producteurs musicaux;
– Maison de disque;
– Designer sonore produits;
– Éditeurs et labels internes aux agences de publicité;
– Compositeurs;
– …
Le capital sonore de la marque n’est du coup pas toujours cohérent car les multiples intervenants vont proposer des réponses qui sont souvent circonscrites à leur expertise sans qu’elles soient mises en perspective. Par exemple, une marque peut avoir une identité sonore téléphonique, une musique de publicité, et des sons de produits différents.
Toutes les études montrent que la cohérence est un vecteur d’adhésion (agrément) mais dans le domaine sonore, on peut l’oublier.
Il s’agit d’éviter la fragmentation (déjà amplifiée par la multiplication des points de contact) en se portant garant de l’intégrité sonore de la marque.
Tu as une approche parfois différente de tes confrères lorsque tu dis : ‘ok, la création d’une identité sonore est essentielle, mais attention « au point de contact et au message ». Un jingle identique pour annoncer une bonne ou une mauvaise nouvelle peut parfois jouer des tours. Tu peux préciser ce concept ?
Mon point de vue est que chaque élément d’une identité sonore sert des objectifs spécifiques qui répondent à deux enjeux majeurs :
– L’image et la notoriété;
– La préférence.
On peut avoir un logo sonore dont le rendu est totalement en adéquation avec l’image de la marque pour transmettre un aspect « rupturiste », moderne, innovant d’un côté. Mais si on utilise ce logo pour faire des annonces, qu’elles soient positives ou négatives, on commet une erreur car l’expérience proposée n’est pas bonne.
C’est pour cela que je dis toujours à mes clients de penser global :
– Un univers musical et sonore donne le style, le ton et la couleur;
– Un logo sonore donne une évocation par des associations musicales;
– Une signalétique informe;
– …
Je suis favorable à ce que chaque action soit porteuse d’un message clair et signifiant.
Par conséquent, il est important de tester la réponse des publics avec des moyens appropriés afin de pouvoir optimiser la qualité de l’impact désiré.
« Ce qui est peu lisible pour les marques, c’est le nombre et la nature des intervenants, ainsi que les coûts qui modulent beaucoup. »
Penses-tu que ce marché arrivera un jour à maturité ? Ou l’est-il déjà, mais il est complètement hétérogène donc peu lisible ?
Le marché de l’identité sonore est en maturation constante. Il y a des méthodes, de l’expérience, des expertises et de plus en plus de métriques. C’est cependant un marché qui donne une grande part à l’intuition. Il est inégal car peu d’acteurs portent l’exigence au niveau de celle requise. C’est pour les annonceurs souvent difficile à appréhender. On est dans un monde de dominante visuelle dont on sait décrypter les signes. Mais dans le monde sonore, c’est une autre affaire.
Nous connaissons aussi de grandes avancées sur l’impact du son sur l’être humain dans le domaine des neurosciences.
Chez Brandy Sound, nous avons développé des outils et des méthodes – à travers le « sound planning © » – afin d’objectiver la relation au sonore. Pour aider nos clients à sortir du « J’aime, j’aime pas » et ainsi se porter garant de l’intégrité sonore de leur marque.
Les clients grands comptes savent à quoi cela sert car nous sommes quelques uns à avoir fait un grand travail d’évangélisation du marché. Avec la multiplication des points de contact, c’est un marché qui se développe et il y a encore beaucoup à faire.
Ce qui est peu lisible pour les marques, c’est le nombre et la nature des intervenants. Ainsi que les coûts qui modulent beaucoup. Il n’y a pas d’association du design musical qui permettrait de répondre à ces problèmes d’évangélisation et de normalisation du marché. Ce qui est le cas dans les autres secteurs de la communication.
Avec Sound Value, tu as développé beaucoup d’outils de R&D pour connaitre les impacts des choix musicaux de marque ? Ce marché ne manquerait-il pas d’indicateurs afin d’être enfin pris au sérieux par les marques ?
Oui je suis complètement d’accord. C’est un marché qui est très verrouillé notamment pour la publicité car les montant des droits et les enjeux financiers sont élevés.
Mais les marques comprennent que la musique est un vecteur de préférence puissant, et elles font de plus en plus attention à cela. C’est environ 10% du budget d’un film pour 50% de l’impact. On pourrait d’ailleurs faire le même ratio sur les investissements en communication où le ratio tombe à environ 4% du budget global pour les grands comptes. Le son, comme la musique, a été le parent pauvre de ce secteur.
Mais je pense que les choses vont évoluer car le sonore est un medium beaucoup plus malléable dans les points de contact dématérialisés. Et avec l’avènement du numérique, nous aurons de plus en plus de PodCast. Dans celui des objets connectés, de plus en plus de sound design. Et pour l’intelligence artificielle de plus en plus d’interfaces vocales.
Il est indispensable de pouvoir développer des outils d’évaluation de l’impact de la musique sur des critères avérés et prouvés scientifiquement avec des méthodes évitant tous biais ou toute interprétation erronée.
Je pense que les critères de la saturation et de la cohérence vont être les deux sujets auxquels il faudra prêter une attention toute particulière à l’avenir.
Aujourd’hui, de nombreuses agences voient le jour sur le territoire national, chacune a une approche marketée, comment aider un décideur (Marketing ou Communication) à faire le bon choix ?
Là encore, le seul sujet est la qualité des produits et services proposés. Des réponses éprouvées et validées. Des KPI et des exemples qui montrent les clefs de la réussite d’une bonne identité sonore.
La qualité de la relation que nous entretenons avec nos clients est aussi un vecteur très important aujourd’hui. Car c’est aussi la qualité de la relation qu’une marque entretient avec ses publics qui est un vecteur central de préférence et non seulement le statut qu’elle lui confère.
C’est par conséquent un mix entre expertise, qualité de service, la qualité de relation et le juste prix.
Il faut aussi donner la possibilité à nos clients d’aller au delà du vernis des arguments convenus pour tester la véritable expertise de son interlocuteur. Une double expertise de la marque et du son.
Il semblerait que tu aies posé tes valises du côté des studios Ferber, peux-tu nous en dire plus ?
Oui, j’ai la chance d’être aussi résident au studio Ferber. C’est un rêve qui se réalise. Je suis musicien percussionniste et il est vrai que toutes ces années, j’ai beaucoup travailler pour les marques. Puis pour les marques et la musique.
J’avais besoin d’avoir mon propre cocon de création pour y créer et produire de nouveaux projets artistiques. Afin de préserver la fraîcheur nécessaire et la créativité propre à mon métier.
Actuellement, je finis la réalisation d’un conte musical pour enfants.
Merci Olivier pour ta participation.