« Entrevues » est le rendez-vous des acteurs qui combinent marques et musique.
À l’occasion de notre 1er anniversaire, nous nous sommes rapprochés de Laurent Cochini, Directeur Général de Sixième Son.

Créée en 1995, Sixième Son fait partie des agences de design et d’identité sonore les plus connues et reconnues, en France comme ailleurs (NLDR l’agence est également implantée à New-York, Chicago, Toronto, Barcelone et Moscou).

SNCF, Rolland Garos, RATP, Peugeot, Renault, EDF, FDJ, sont autant de références que l’on peut imputer à l’agence.

 

# L’EDS – Bonjour Laurent, nous sommes ravis de te rencontrer ! Pour commencer, parlons un peu de toi.

Est-ce que, en quelques mots, tu peux nous raconter ton parcours et nous dire comment tu en es venu à occuper le poste de Directeur Général chez Sixième Son.

LAURENT – Bonjour Emilie et l’Écume des Sons.

Niveau formation, j’ai un double cursus, Musique d’une part en étant diplômé du Conservatoire d’Aix-en-Provence, et académique d’autre part à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris.
Côté Musique, j’ai eu le plaisir de beaucoup tourner avec un projet musical à travers le Monde dans les années 2000. C’était une époque magique car nous étions très jeunes et avons eu la chance de découvrir beaucoup de scènes. En parallèle, je me suis intéressé rapidement aux questions liant musique et marques. J’ai postulé comme stagiaire chez Sixième Son en 2008 et depuis l’aventure continue. J’y apprends tous les jours. J’ai eu la chance de grandir avec l’agence et d’apprendre les métiers les uns après les autres.

Il y a une reconnaissance du travail et de l’engagement et c’est un vrai atout à mon poste actuel d’avoir pu faire tous les métiers de l’agence et donc de bien connaitre les problématiques auxquelles l’équipe est confrontée chaque jour. À l’international, Sixième Son c’est aujourd’hui une équipe d’une trentaine de collaborateurs.

Il y a enfin une très grande relation de confiance avec Michaël, le Président et Fondateur de l’agence : on se connait depuis bien longtemps et c’est une force.

 

# L’EDS – Á présent, parlons un peu identité sonore.

D’après toi, quelle est l’évolution majeure du marché de l’identité sonore depuis la création de l’agence Sixième Son ?

LAURENT – Il y a une vision qui demeure, celle des débuts de Sixième Son : faire de la musique un atout sur-mesure pour les marques afin d’être mieux comprises, mieux identifiées et mieux aimées. Beaucoup, à tort, pensent que le métier qui est le nôtre est celui de l’identification, de l’impact, et donc de la signature sonore uniquement, du « jingle ». Un peu comme si l’on réduisait le travail de grandes agences de design comme Carré Noir, Lonsdale ou Dragon Rouge à la création de logos. Nous donnons le pouvoir aux marques sur la musique, et sur tous leurs points de contacts avec tous leurs publics.

La vision demeure donc, le métier par contre évolue et c’est tant mieux. Les marques ont compris qu’il fallait utiliser la musique comme un langage en liant créativité et cohérence.
Concrètement, cela signifie que nous travaillons toujours sur la définition de la plateforme musicale des marques, les supports corporate ou les révélations presse donc, mais aussi que les marques nous font confiance pour créer les bandes-son publicitaires en grands médias. Avec notre studio de production intégré, nous pouvons couvrir tous les besoins musicaux des marques en publicité. Enfin, le digital est source de beaucoup de confusion et de dilution pour le message des marques. Nous accompagnons donc nos clients sur la réalisation de l’ensemble des musiques sur le digital selon une stratégie musicale bien définie mais avec beaucoup de malléabilité, puisque nous sommes en création.
Enfin, nous allons désormais jusqu’au Brand Content Musical en proposant aux marques des dispositifs d’activation. C’est le cas pour Wiko ou Marc Dorcel cette année par exemple. Le trait commun est et restera le sur-mesure.

 

# L’EDS – Et comment imagines-tu ce marché dans 20 ans ?

LAURENT – Tant qu’il y aura des marques, elles auront besoin d’incarnation, de valorisation, et de différenciation. Je suis donc convaincu que la musique et le son en général auront leur place dans la communication. Les supports évolueront forcément, mais comme le disait Gabriel Gautlier, la mission d’un créatif n’est pas liée au support, nous continuerons de raconter des histoires grâce au son et à la musique, mais sur d’autres supports avec d’autres techniques.

Je pense que le son et évidemment la voix auront une place de plus en plus importante avec un environnement sonore urbain en pleine révolution (la disparition des véhicules fuel par exemple) et de moins en moins d’écrans. Le son en général jouera à plein son double rôle : fonctionnel et émotionnel.

 

# L’EDS – Dans le livre (« Design musical et stratégie de marque », 2017 – édition Eyrolles) écrit par Michaël Boumendil, le Fondateur de l’agence, il y est question de l’importance du déploiement de l’identité sonore au niveau des différents points de contact de la marque, mais également l’intérêt que ces dernières ont à l’ajuster en fonction.

Cependant, cela a un coût et l’on peut concevoir la récalcitrante de certains annonceurs à s’y contraindre. Comment les convaincre ?

LAURENT – Il y a beaucoup d’autres sujets dans le livre mais s’il est question de coût, la démonstration est très simple.

Si l’on ajoute les budgets liés au son et à la musique que les marques ont déjà sur leurs nombreux supports (Pub TV, Pub Radio, Digital, Événementiel, Téléphonie, Applications…) on arrive vite à des sommes très importantes. Nous confier la stratégie musicale de marque, qui passe par la définition d’une plateforme musicale, la création de l’identité sonore et la production musicale qui en découle (sur l’ensemble des supports cités plus haut) permet aux marques de dépenser moins. D’une part car il n’y a pas la multiplication des coûts liés aux droits de chaque musique (toutes étant différentes), et d’autres parts car il n’y a pas de multiplication des prestataires et les marges des uns et des autres. L’un de nos clients qui est un annonceur important dépensait plus de 2M d’euros par an en achat de droits à travers le Monde. Nous gérons aujourd’hui l’ensemble de sa musique sur l’ensemble de ses supports et avec moins de dix fois moins de budgets, les résultats sont meilleurs (tests et surtout retours clients) et la cohérence du discours de marque est assuré.

 

# L’EDS – Au sujet de Sixième Son à présent.

L’agence est présente à l’International.
Cette « recette française » est-elle duplicable à l’identique ? Parle-t-on différemment d’identité sonore aux Etats-Unis ou en Russie, en fonction de la « culture sonore » de chacun de ces pays ?

LAURENT – Les marques ont toutes les mêmes besoins à travers le Monde, mais la culture de marque n’est effectivement pas la même aux Etats-Unis, en Inde ou dans les Emirats où nous avons des clients. Je ne crois pas que la recette soit française mais juste que la méthodologie est solide et a fait ses preuves en France et à l’International. Pour renforcer notre culture, nous avons misé sur des profils très cosmopolites dans nos différents bureaux évidemment, mais aussi à Paris dans les équipes Conseil ou Créa. Eric ou Ella par exemple, sont des piliers de l’agence basés à Paris et sont Nord-Américains.

 

# L’EDS – Les créations Sixième Son sont faites à Paris pour le monde entier. Peut-on parler de « french touch » ou l’audiobranding est-il déjà « globalisé », avec ses codes ?

LAURENT – Il arrive effectivement que des marques internationales nous appellent pour cette dimension French Touch. Mais la plupart du temps notre développement à l’international vient davantage de l’expérience et de l’expertise de l’agence. C’est un cercle vertueux, on crée de la confiance en accompagnant Michelin, Axa ou Renault à travers le Monde ; Enel, Huggies ou encore Royal Air Maroc nous confient alors leurs projets.

 

# L’EDS – Á l’instar d’une agence de design visuel, vous avez fait le choix d’une équipe mêlant chefs de projet et équipe créative, réunit dans un seul et même lieu.

Cette proximité a fait ses preuves en termes d’efficacité sur la transformation créative et vous a permis de nombreux succès.

Toutefois, le fait de travailler avec une équipe maison peut donner une couleur ou un style sur l’ensemble des créations.

Est-ce adéquat avec des briefs qui peuvent parfois diverger de marque en marque, voire même pour des entreprises du même secteur (ex. : Renault / Peugeot) ? Et comment faire pour rester « neutre » dans son approche créative ?

LAURENT – C’est effectivement au cœur de notre ADN. Nous sommes une seule et même équipe au quotidien, et l’on croit énormément en cette dimension « équipe ». D’une part parce que c’est un métier et qu’il faut comprendre les marques pour créer leurs univers musicaux. Si l’on parle créa, dans le domaine visuel, il y a des écoles de Designer ou de Graphistes où l’on apprend à connaitre les marques tout autant que l’on travaille sa créativité. Et ce sont des compétences bien différentes de celles d’un peintre ou d’un réalisateur. Pourquoi en serait-il différent avec la musique ? Nous croyons donc qu’il s’agit d’un métier et que notre équipe répond par sa complémentarité aux problématiques de marques de tous types.

Nous faisons également et évidemment appel à des talents extérieurs, lorsque nous en ressentons le besoin notamment pour interpréter (chants, grands orchestres…). Un peu comme lorsqu’une agence de design va s’entourer d’un photographe ou d’un réalisateur. Ce qui surprend souvent est que nous sommes quasi seuls dans le domaine de la musique à fonctionner ainsi en France, mais les modèles du design et de l’identité ont fait leurs preuves de cette manière et des agences musicales fonctionnent ainsi également aux Etats-Unis par exemple.

La force de l’équipe permet également de répondre à des problématiques très souvent bien serrées en termes de timing. Enfin, c’est un gage de confiance pour nos clients d’avoir une équipe créative dédiée et exclusive et nous sommes suffisamment nombreux pour répondre à la question que tu évoques sur la concurrence. Vincent est, par exemple, l’interlocuteur créatif de Renault aux côtés de Delphine qui dirige le compte depuis les débuts.

Enfin, pour la question de la concurrence, il n’y a pas deux marques qui se ressemblent, et notre approche est toujours dans le sur-mesure.

 

# L’EDS – Comment doter sa marque de la meilleure stratégie musicale ? Et trouves-tu parfois des dichotomies entre le costume que la marque souhaite et celui qui lui irait le mieux ?

LAURENT – Je ne parlerais pas de dichotomie mais je dirais que c’est ce qui rend ce métier, et en général, les métiers de la création passionnants. Les chemins que l’on parcourt en équipe et avec nos clients peuvent nous amener à emprunter des routes que ni les clients, ni nous, n’avions envisagés… mais c’est aussi ça qui donne envie de recommencer chaque jour. Ce serait tellement triste et pas créatif d’appliquer une recette sans surprise…

 

# L’EDS – Enfin, pour terminer cette interview, parlons SNCF.

Si l’on faisait une analogie avec le monde de la musique, nous pourrions dire que le plus grand tube de Sixième Son à ce jour est le logo sonore de la SNCF.

Ce « tube » n’est-il pas handicapant parfois ? Car on imagine que certaines marques peuvent-être amenées à vous demander de travailler les mêmes ingrédients pour avoir le même succès.

LAURENT – Tu as raison, c’est effectivement une création qui a dépassé le simple cadre de notre métier. Plutôt que tube, je dirais que c’est devenu un objet « pop » dans le sens où 98% des gens l’attribuent en France à la SNCF, et on nous en parle dans chacun de nos voyages à l’étranger. On en parle dans des films (« Un bonheur n’arrive jamais seul… ») et il existe plus de 400 covers en ligne (dont celle de David Gilmour).

On est surtout ravi car 12 ans plus tard, l’avantage concurrentiel pour la SNCF est chaque jour plus fort, et c’est d’abord ça notre métier. Nous ne nous pensons pas comme artistes mais comme des designers, et donc au service de l’image de nos clients, pas la nôtre. Après, effectivement, les amis de ma mère à Marseille savent que c’est nous qui l’avons créée, et c’est plutôt amusant.

Par contre, je ne vois rien d’handicapant. Nous sommes très heureux d’accompagner la SNCF depuis 2005 et cette « dimension » d’accompagnement est au moins aussi important que la création. Cela donne confiance aux autres marques quant à notre capacité à la fois créative et dans l’accompagnement sur le temps long. Crois bien que c’est dans le cas inverse que je verrais le handicap, dans le cas où aucune des créations n’étaient reconnues, ni par les clients de nos clients, ni par nos clients, ni par la profession… Mais avec SNCF, Renault, AXA, FDJ, Castorama… Je préfère être à notre place.

 

# L’EDS – Lorsque l’on se retrouve en gare et que ce logo est diffusé quel que soit le type d’annonce (pour une arrivée de train ou un retard).

Ne devrait-on pas déployer une « grammaire sonore » en fonction des messages à diffuser, plutôt qu’un son unique qui envoie les « bonnes » et les « mauvaises » nouvelles ? Penses-tu que cela peut jouer des tours sur notre perception cognitive ?

LAURENT – Guillaume Pépy a décrété que le sonal en gare était devenu un repère pour les Français et qu’il devait rester immuable. Le vocabulaire musical de la SNCF est par contre très riche sur l’ensemble des autres supports de communication et en fonction des marques (TV, Radio, Corporate, Ouigo, Oui.sncf …) et en constante évolution au gré des campagnes notamment.

En gare, un tiers des messages diffusés sont des messages dits « préfecture » (grippe H1N1, Pickpocket…) et ne devraient pas être endossés par la SNCF mais la technologie ne le permet pas encore. C’est un sujet de réflexion et je ne peux pas en parler davantage aujourd’hui.

Par contre, à l’intérieur des TGV, il y a bien une grammaire sonore différente car l’expérience client n’est pas la même qu’en gare. Tu me diras ce que tu en penses après ton prochain Paris-Marseille !

 

# L’EDS – Oui ! Je te dirai cela.

Un grand merci pour avoir pris le temps de nous répondre ! Á bientôt !

 
Crédit photo : ©Julien Vachon